Comme, dans "La belle et la bête", Jean Marais, par la magie du film projeté en marche arrière, de bête couchée, abattue, se redresse jeune homme vaillant et charmant - "Mes parents ne croyaient pas aux fées..." - le loup, le grand loup, sous mes yeux ahuris se transforma, en un instant qui semblait ne jamais vouloir finir, en un beau jeune homme, la moustache brune bien taillée, portant chapeau de feutre, dont le regard bleu, si clair, me fit fondre immédiatement. Mon père était devant moi, me tendait la main, comme jamais de son vivant. Ce qui m’étonnait le plus, me stupéfiait, c’était son regard si doux, posé sur moi, avec cette pointe d’ironie que je lui voyais souvent, mais aujourd’hui, le regard était bienveillant, affectueux, il ne me menaçait pas, je n’avais pas peur. J’accrochai ma main dans la sienne, et tous les deux, nous nous enfonçâmes dans la forêt. Rien n’existait plus que mon Papa, ma main dans la sienne, et ce pas lourd et rassurant à côté du mien. Jamais je ne l’avais intéressé, les seules fois où j’avais semblé compter pour lui, c’était quand je le dérangeais, quand il me disait d’aller ailleurs. Dans cette forêt, j’existais enfin à ses yeux. Bien qu’il ne m’eût point parlé, il m’avait regardée, il tenait ma main, et il m’emmenait avec lui. Combien de fois, enfant, je l’avais vu partir seul ou avec un de mes frères. « Papa j’ai envie d’aller avec toi, Papa ! » Il ne se retournait même pas.
Au bout de quelques minutes, une cabane, fumante, éclairée, entourée de loups assis nous ouvrit sa porte. Là, un grand lit, comme dans le Chaperon rouge. Mon père me regarda, et, enfin, me parla. Mon Dieu, ces paroles, cette voix, après tant d’années. Il me dit gentiment, que je devais m’allonger sur ce lit, et qu’il allait me lire une histoire. Moi, telle la petite fille que j’étais redevenue, je me suis couchée, mon père amena une chaise près du lit, ouvrit un livre et commença sa lecture. Il ne fallut que quelques pages pour que le sommeil arrive, et je m’endormis, heureuse comme jamais, pour toujours.