Au récent Congrès de "Pathologie Traumatique de la Radio-Ulnaire Distale", le professeur Georges B. m’emmena visiter l'Abbaye Saint-Martin d'Ainay. Dans un coin de la crypte, sous la chapelle Sainte-Blandine, s’élève une petite statue blanche de Saint Guérin, en évêque, une clef à la main.
Le professeur, en veine de confidences, ce jour-là, après avoir rejoint le froid lyonnais de cette fin d’après-midi de décembre, se rapprocha de moi et commença à me parler comme pour se délivrer d’un lourd secret :
« Chez nous, dans le garage, nous laissons depuis toujours, une clé pour notre fille, qui de temps en temps, vient chercher une affaire ou une autre. Elle a bien évidemment une copie de la clé du garage, clé beaucoup moins onéreuse à refaire en cas de perte. Il y a un peu plus d’un an, nous sommes allés avec ma femme, rhumatologue, elle aussi, à un congrès, à Berlin. Peu importe d’ailleurs, toujours est-il que pendant cinq jours, nous fûmes absents de la maison. Des peintres avaient été chargés de rafraîchir les volets de toute la bâtisse. Bien entendu, nous leur avions confié une clé du garage dans lequel ils se changeaient et entreposaient leurs outils et la peinture. Ils étaient là tous les jours depuis une semaine quand nous sommes partis. Nous avions noté (enfin, surtout moi, à vrai dire) qu’une jeune femme les accompagnait. Une jeune femme au style « gothique » suffisamment rare dans notre quartier pour être remarquée. A notre retour, nous avions un petit mot de notre fille, dans la boîte, disant qu’elle était passée un soir et n’avait pas trouvé la clé de la maison à sa place habituelle. Effectivement, plus de clé derrière la porte du garage. Les peintres consultés n’avaient rien remarqué. Ne voyant plus la jeune femme, nous avons appris que deux jours avant, en milieu de matinée, elle était entrée dans le garage, et en était repartie précipitamment, et que les peintres ne l’avaient plus revue depuis lors. Celui qui la connaissait le mieux se demandait même où elle avait bien pu passer.
A ma place, me dit-il, tu aurais sans doute alerté le commissariat, comme je l’ai fait le lendemain.
Nous avons changé notre serrure, puis quelques jours se sont écoulées. Les volets avaient retrouvé leur belle couleur jaune. Le jardin retrouvait ses couleurs d’automne, et cet incident commençait à ne plus être qu’une anecdote. C’est alors que le commissaire M. nous a appelé. Le lendemain matin, dans son bureau, il nous fit part de la disparition tragique de la jeune femme. En effet, pour lui demander des explications, les policiers de son quartier s’étaient rendus à son domicile. Surprise en plein deal, elle avait voulu s’échapper par les toits, et avait glissé sur les tuiles mouillées. Quand nous sommes rentrés chez nous, l’amertume était forte. Une grande tristesse nous accablait, le ciel était noir, il pleuvait, comme la veille, et comme le lendemain. Le froid arrivait, le vent faisait tourbillonner quelques feuilles tombées des tilleuls et des saules. Les quelques jours qui ont suivi n’ont pas été très gais.
Peu après Noël, en cherchant du lustrant pour plantes vertes, dans un pot, entre deux rouleaux de ficelle, un briquet orange, vide, une prise multiple, une boîte de punaises et un tube de colle bouché, j’ai retrouvé la clé. Alors, je me suis souvenu que le jour de l’arrivée des peintres, je l’avais mise là pour ne pas la laisser à leur portée. »