« On était en 42. Les Besset, des petites gens, bien tranquilles, occupaient la maison d’à côté. Lui, récent retraité, s’occupait de son jardin. Elle, un peu plus jeune, faisait des ménages, le matin. Entre voisins, on se fréquentait, on se parlait souvent, surtout pour parler du temps et de la guerre. Mon mari était prisonnier. Ma mère, mes beaux-parents et moi avions la chance d’avoir des amis paysans chez qui nous allions nous ravitailler. Au retour, il y avait toujours un petit quelque chose pour les Besset.
Un matin, des gendarmes sont venus, avec un allemand, et on les a vus ressortir, accompagnés de Monsieur Besset. Celui-ci, se retournant, nous a lancé, à nous sur le pas de notre porte : « Quand ma femme reviendra du travail, vers dix heures, dites-lui qu’ils m’ont emmené pour une vérification. Qu’elle m’attende, il n’y en a pas pour longtemps .» Vers dix heures, sa femme, elle n’était pas là, A onze heures, non plus. On ne l’a jamais vue revenir de ses ménages. Lui non plus, on ne l’a jamais revu.
Beaucoup de gens à cette époque avaient une arme chez eux, c’est d’ailleurs pour ça que les allemands avaient exigé que les français en zone occupée remettent leurs armes à la Kommandantur, sous peine de mort ; mon beau-père, d’ailleurs, avait enterré son fusil dans le jardin, il doit toujours y être. Monsieur Besset avait caché son pistolet bien enveloppé de papier journal, dans sa cave. Une proche cousine, lui avait demandé de garder le sien. Il l’avait aussi bien enveloppé pour ne pas qu’il s’abîme, et avait collé une jolie étiquette avec le nom et l’adresse de la cousine.
Monsieur et Madame Besset avait d’autres cousines. Une d’elles était fâchée, on ignore pourquoi. Toujours est-il qu’elle avait dénoncé ses cousins aux allemands. Après avoir emmené Monsieur Besset, ils avaient été chercher Madame Besset à son travail, puis la cousine à l’adresse indiquée sur le paquet.
Quand je vois une entrée de cave, ça me revient toujours, cette histoire »
Oui, Maman.