Lorsqu’on met sa main dans la Bouche de la Vérité, on ne peut la ressortir que si 1'on n’a jamais menti. Sinon, la bouche la mange.
Après la mort d’Ali Farka Touré, qui a affecté beaucoup de monde sur cette terre, il me revient une histoire qu’il aimait à raconter, au détour d’une conversation, le soir sur la terrasse de sa maison de Bamako :
Pas très loin du fleuve Niger entre Sibila et Dolonguebougou, un jeune homme avait dit du mal d’une jeune fille du village voisin. Le jeune homme, Mogola, avait raconté que la jeune fille était enceinte de lui. La jeune fille, malgré ses protestations, avait alors été punie par les siens. Ali racontait souvent cette histoire, mais ne précisait jamais la punition ; cependant on ne doutait pas qu’elle fut horrible et terrible. Mogola vieillit, alla s’installer à Ségou, où il vécut de petits boulots dans des garages. Il prit femmes. Au cours d’une soirée après concert qu’Ali affectionnait tant, où il rencontrait son public, une des femmes lui raconta l’histoire de la jeune fille suppliciée. Mogola lui avait avoué avoir menti, qu’il avait tout inventé parce que la jeune fille s’était refusée à lui. Il n’avait pas osé se dédire par peur des représailles.
Mogola, alors âgé d’une trentaine d’années, vit au fil des jours les doigts de sa main droite bleuir, se raidir, se paralyser. Très vite, sa main entière fut invalide, ce qui lui interdit tout travail. Il ne put bientôt plus nourrir sa famille. Peu de temps passa et Mogola se noya dans le Niger.
Ali expliquait qu’il avait demandé à Toumani Diabaté, le koriste vituose, d’intercéder auprès des génies pour qu’ils inoculent à distance le korti, ce poison mortel et, dans un grand rire, il s’esclaffait : « La vérité lui a mangé sa main ! »