L’hiver s’éloigne, le printemps approche. Malgré le froid, la neige, on sent bien que le printemps fait le forcing et qu’il va gagner. Sans doute les jours qui allongent. Et ça, effet de serre ou pas, les jours rallongent au printemps, et c’est pas près de s’arrêter. Bref, la semaine dernière, en préparant le salon du livre avec Guillaume C. l’auteur de « Les pères de famille ne portent pas de robe », nous avions bien cette sensation, et Guillaume m’a raconté l’histoire suivante :.
« Nous revenions d’une visite familiale par l’autoroute A6, ma femme, notre fils et moi. La circulation était assez dense. On était un dimanche en fin d’après-midi, un dimanche de mars, justement. Le temps était un peu gris, pas trop, A hauteur d’Auxerre, la voiture se mit à fumer et à tousser, ce qui est assez fréquent quand on fume. Par chance, une aire d’autoroute avec une station service, telle une oasis, apparut au bout d’une légère descente. La voiture male en point nous y emmena malgré tout. Le verdict du mécanicien (?) tomba (oui, comme un couperet) : « Joint de culasse, le moteur est foutu. Vous avez roulé sans huile »
Dix-huit heures, sur une aire d’autoroute, des bagages dans le coffre, une voiture « morte », un petit que tout ça inquiète, des parents qui font semblant de ne pas s’inquiéter, bref, on avait l’air perdus, en tout cas, suffisamment pour qu’un couple de personnes âgées, la retraite, et leur fille (enfin, on a supposé), la quarantaine, nous prennent en pitié, et nous demandent : « Vous allez où, on peut peut-être vous rapprocher ? »
Sur le chemin de la maison, ils ont insisté pour nous ramener jusque chez nous, malgré le détour conséquent. On était contents d’avoir rencontré des gens aussi serviables, ce dimanche maussade finissait bien, somme toute. Leur fille était institutrice, elles avaient fréquenté la même école, mais pas en même temps, avec ma femme. Lui était ethnologue en retraite, mais il continuait ses recherches en dehors de toute structure, et sa femme, ancienne directrice d’école, se passionnait pour la reliure, ce qui nous avait fait un point commun. Le trajet d’Auxerre à la maison fut un délice. On était un peu serrés à quatre derrière, mais le minot, sur les genoux, s’était tenu bien tranquille. Je crois même qu’il avait dormi un bon moment.
Arrivés devant notre porte, ils n’ont jamais voulu rentrer, mais on a réussi à leur arracher leurs coordonnées, adresses des parents et téléphone de l’institutrice. Dès le lendemain, une bonne boîte de chocolats leur était envoyée. Une dizaine de jours après, notre boîte de chocolats nous revint avec la mention DCD. J’appelai aussitôt leur fille qui m’apprit que deux ou trois kilomètres après nous avoir quittés, malgré un brusque coup de frein, ils s’étaient encastrés sous la benne d’un semi-remorque qui reculait en travers de la chaussée sans les voir, et que ses parents étaient morts sur le coup.
Evidemment, si on avait mis de l’huile dans notre putain de bagnole, ils seraient toujours là. Comme quoi, le printemps, l’hiver, tout ça…»
Guillaume ajouta que les chocolats étaient délicieux.